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 Reportage
etoy/eToys : le net-art fait plier l'e-business

Par Serge Corre, le 2 février 2000

Les net-artistes d'etoy, alliés aux activistes du web, ont sauvé leur domaine menacé par le site de jouets eToys. Retour sur une bataille à rebondissements.

L'affaire etoy/eToys marque un tournant dans l'histoire de l'internet, sinon dans celle du marché de l'art. En effet, on n'avait jamais vu une société s'attaquer de la sorte à des artistes, ni le milieu de l'art réagir de façon aussi virulente, jusqu'à faire fléchir l'une des compagnies les plus puissantes de la “nouvelle économie”.

etoy, la saga des artistes

1995 : création d'etoy.com

En 1994, un groupe d'artistes européens installés à Zurich, et adeptes de performances multimédia lors de raves, choisit, au hasard d'un script perl, le nom d'etoy, nom de domaine qu'ils déposent en .com le 13 octobre 1995.

1996, “Digital Hijack”

En 1996, leur “Digital Hijack” (détournement digital) remporte un prix au festival Ars Electronica : en reprenant les méta-tags de Playboy (les mots-clés placés dans le code source d'une page web afin d'aider les moteurs de recherche à se repérer), ils attirent nombre d'internautes sur leur propre page, qui prend fait et cause pour Kevin Mitnick.

1999, “valeurs” subversives

En 1999, ils font partie des net-artistes les plus réputés et en profitent pour mettre sur le marché de l'art des “actions” d'etoy dont le produit, plus de 10 000 dollars, est reversé à rtmark, site américain spécialiste du “sabotage” médiatique et de la contre-propagande humoristique (voir gatt.org, parodie du site de l'OMC, ou encore un site abordant le passé cocaïnomane de George Bush Jr, candidat aux présidentielles américaines).

eToys, les jouets montent en ligne

Novembre 1999, la plainte d'eToys

En novembre dernier, eToys.com, magasin de jouets en ligne, porte plainte contre etoy.com, arguant du fait que sa « nature antisociale, obscène, dépravée, offensante, perverse, anarchiste et rebelle », nuit à leur image. C'est vrai que la page d'accueil d'etoy enjoint par exemple les internautes à télécharger le “f*cking flash plug-in” ...

L'offensive de l'e-business

Compagnie américaine créée en 1997, introduite en bourse en mai 1999 et classée 16ème, en août dernier, des plus gros magasins en ligne, puis 3ème, en décembre, des sites les plus visités (juste derrière Amazon et eBay), eToys va jusqu'à proposer 160 000, puis 400 000 dollars (1 puis 2,7 millions de francs environ) en cash et stock options aux artistes pour qu'ils ferment d'eux-mêmes leur site.

1er round pour le site marchand

Ces derniers refusent, rappelant qu'ils étaient en ligne deux ans avant la création d'eToys. Un juge californien condamne finalement etoy, fin novembre, à payer 10 000 dollars d'amende par jour s'ils restent en ligne, en attendant de rejuger l'affaire le 27 décembre, soit juste après l'énorme vague d'achats qu'attend eToys à la veille de Noël.

Le net-art passe à l'attaque

Frapper eToys à la Bourse

L'affaire, qui fait déjà grand bruit dans la communauté net-artistique, prend dès lors une tournure nettement plus radicale. rtmark lance même une “déclaration de guerre”, relayée par une conférence de presse au musée d'art moderne de New York, appelant à boycotter eToys et à tout faire pour que s'écroulent ses actions en bourse : « eToys n'hésite pas à censurer l'art au profit de son business, nous pouvons donc nous sentir fiers de jouer à détruire eToys au profit de l'art ».

Wargame contre empire du jeu

Des dizaines de sites (dont les réputés thing.net, rhizome.org, nettime.org ou encore des militants de l'EFF – Electronic Frontiers Foundation) et des milliers d'internautes prennent le relais et s'engagent dans une véritable guerre de l'information. La première victime en est l'un des fondateurs de l'Electronic Disturbance Theater, célèbre pour son Floodnet, outil de sit-in virtuel. Cet applet java lance 15 à 20 requêtes par minute et sature un site-cible – il fut utilisé pour soutenir les zapatistes ou encore manifester contre le Millenium Round de l'OMC.

L'Electronic Disturbance Theater est tout bonnement fermé par son provider sous la pression d'eToys, qu'il avait pris pour “cible”. Toywar.com prend alors le relais, réunissant quelques 1 400 “guerriers” dans un wargame virtuel destiné à combattre la censure d'eToys.

Janvier 2000, eToys capitule

Plus d'une centaine d'articles dans la presse internationale (on et off line) plus tard, eToys décide finalement à la mi-janvier d'abandonner ses poursuites et de rembourser les frais de justice (40 000) engagés par les artistes : « Notre intention n'a jamais été de censurer la liberté d'expression artistique ». L'action de la firme est aussi, et entre-temps, passée de 67 à 20 dollars... soit le prix initial de son introduction en Bourse en mai 1999, CQFD.

Visite de l'état-major victorieux

Le site etoy.com devrait revoir le jour très prochainement. En attendant les net-artistes se sont repliés sur 146.228.204.72:8080. On trouve leurs partisans sur eviltoy ou encore sur etoys-sucks ; les activistes de l'information émettent à partir de dmoz.org et l'Electronic Disturbance Theater s'est exilé sur www.nyu.edu/projects/wray/ecd.html

En savoir plus

eToys vs Etoy : la guerre de domaine est finie
(actualité du 28/01/2000)
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