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La dictature du ®

Par Florent Latrive

Le 18 février 2000


 

a «nouvelle» économie commence à peser sur le «vieil» Internet. Et à agacer tous ceux qui ne portent pas de chemises rayées, ne rêvent pas de stock-options et considèrent, les naïfs, le réseau comme un moyen de communiquer ouvert à tous (1). On les comprend: ces derniers temps, la frénésie des entreprises à défendre leur bizness®, leur marqueTM sur le Web, à harceler à coups de procès ceux qui osent revendiquer un peu de place sur le réseau, prend une tournure délirante. Ainsi de Leonardo Finance, un «espace de rencontre entre investisseurs et entrepreneurs», qui vient de porter plainte en France contre une association appelée Leonardo, regroupement international d'artistes. La raison? Lorsque l'internaute tape le nom dans un moteur de recherches, il tombe à la fois sur le site artistique ET sur le site financier. Que Leonardo (le groupe artistique) existe depuis plus de trente ans et sur le Web depuis cinq importe peu à Leonardo (ceux qui œuvrent pour le bien commun de leur portefeuille). Il y a quelques mois, Apple menaçait d'un procès un site qui montrait un vibromasseur de couleur acidulée, copiant le look de son iMac. La Poste, elle, s'en prend à un site sur lequel une Carte bleue avec le petit logo jaune apparaît. Tandis que les héritiers du créateur de Caliméro rappellent au propriétaire d'un web sadomaso que «C'est trop injuste» est une marque déposée dans le monde entier. On finit par craindre un Web où le tout-venant sans ambition entrepreneuriale sera renvoyé au papier-crayon. Ou cantonné à l'expression on line de l'anodin: le chat, la météo ­ mais attention à ne pas faire concurrence à Météo France, madame Michu. Et si possible en acceptant une jolie pub en haut de l'écran.

Dites, les businessmen, c'est plus possible de s'exprimer sur le Web? C'est réservé aux gens sérieux qui commercent? A trop vouloir défendre leur image, les tenants du ® tous azimuts prennent le risque de se heurter à la guérilla électronique. Au harcèlement de prétoire et à l'arrogance risque de répondre le harcèlement on line, comme le prouve l'exemple de Etoys.com, supermarché américain du jouet et fleuron de la Neteconomy, qui s'en est pris récemment à Etoy (sans s), un collectif d'artistes suisses. Imaginez l'enfer pour le pauvre Etoys.com: un client potentiel risquait de se tromper d'adresse et de tomber sur le site subversif plutôt que sur les cyberayons du marchand. ®TMark, un regroupement d'activistes on line, a encouragé les internautes à bombarder les boîtes de courrier électronique de l'entreprise. Au final, devant le barouf déclenché, Etoys a dû lâcher l'affaire et retirer sa plainte. Ludique, pas fatigant. Et ça défoule.

 

(1) Auxquels cette chronique mensuelle sera désormais consacrée.

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