Le témoignage d'un
militant anti-globalisation sur le jeu polémique State of
Emergency
Il prend la manette et commence à jouer.
Brise quelques vitrines en balançant des poubelles, slalome
entre les manifestants en plein saccage d’un centre
commercial, explose deux ou trois flics et lâche: «ils sont
nuls, les policiers». Andy, 34 ans, américain vivant et
travaillant à Paris, était dans les rues de Gênes, lors du
sommet du G8, et à New-York lors du forum économique mondial
en janvier. Et il trouve «nul» le jeu vidéo State of
Emergency (SoE), dont la sortie s’accompagne d’une véritable
hype anti-globalisation assortie d’un marketing flirtant avec
le mauvais goût. Qu’on se le dise, State of Emergency
puiserait son inspiration directement dans les mobilisations
de Seattle ou de Gênes contre l’ordre néolibéral, en mettant
en scène des émeutes et une guérilla urbaine entre militants
et flics aux ordres du Marché. Un buzz encouragé par les
développeurs écossais de Rockstar Games, même s’ils se
refusent ces dernières semaines à communiquer en ce sens pour
ne pas alimenter une polémique naissante.
Alors, SoE
serait-il le premier jeu vidéo anti-globalisation? «Ce jeu
est aussi loin des conflits de la mondialisation qu’un jeu qui
se passerait sur la Lune», répond Andy. En ligne de mire,
le scénario simplet: en gros, une giga-entreprise a pris le
contrôle de la planète, arrose le bon peuple de ses messages
«consommmez, consommez», contrôle les médias et tutti quanti.
«Une vision très naïve d’un monde où les entreprises ont
pris le pouvoir, une vision antique de la mondialisation, que
l’on aurait pu avoir il y a cinquante ans», estime Andy.
Les scénaristes, en troquant le Big Brother de l’Etat
totalitaire par une entreprise tout aussi totalitaire, ne
rende pas compte de la complexité de la mondialisation,
enchevêtrement de pouvoir économique, de lois encourageant la
marchandisation, de souverainetés diffuses. «Dans ce jeu,
une seule entreprise domine toute la planète, alors
qu’aujourd’hui, tu en as plein, remarque Andy. Les
messages orwelliens diffusés ne ressemblent pas aux messages
des entreprises qu’on voit à la télé».
Le militant
n’aime pas non plus la façon dont State of Emergency met en
scène les activistes: une brassée de gros bras défouraillant
sur les flics et dézinguant les vitrines, sorte d’émeutiers
bas-du-bulbe. «On ne voit pas non plus le côté positif des
activistes. A Gênes, on avait amené des grands miroirs pour
aveugler les policiers, il y avait beaucoup d’actions très
imaginatives.» Sur ce point, le jeu occulte complètement
les formes très particulières des actions de la plupart des
«antis», souvent habiles dans leurs exploitation des médias et
des codes dominants en vigueur: détournements de pubs avec les
AdBusters canadiens, happenings urbains et potagers aptes à
capter les caméras avec les anglais de Reclaim the Streets.
Andy lui-même fait partie des YesMen, un groupe dont les
membres usurpent régulièrement l’identité des pontes de
l’Organisation mondiale du Commerce pour donner des
conférences en leur nom. En outrant la vulgate néolibérale
pour mieux choquer. Ainsi, en carricaturant les militants
anti-globalisation comme autant de combattants de rue, State
of Emergency passerait à côté de l’essentiel. Seule
«l’intro (du jeu, ndlr) avec le flic qui tabasse quelqu’un
sans raison» trouve grâce aux yeux d’Andy: «C’est ce
que j’ai vu à Gênes, des manifestants en sang, au sol,
tabassés sans raison», témoigne-t-il.
Pour autant,
l’activiste ne s’effarouche pas qu’un jeu bourré de © et de
trademarks titillent la veine «anti» pour faire du profit.
«C’est de la récupération pure, admet-il. Mais je ne
suis pas choqué, c’est un produit commercial qui n’a aucun
message, qui n’influencera rien. Ils essaient de jouer là
dessus pour avoir un marché: il y a un public énorme qui
apprécie ce qui s’est passé à Gênes, à Seattle...» Andy se
prend même à imaginer un «jeu qui traiterait vraiment des
conflits de la mondialisation dans leur complexité». Mais
en attendant, que doivent faire ceux qui souhaiteraient tout
de même s’essayer à State of Emergency? «Qu’ils le
piratent, bien sûr!»
Recueilli par Florent
Latrive
State of Emergency, Play Station 2,
Rockstar Games/ Take Two Interactive, 45,50 euros.
Le site
du jeu
Le site des Yes
Men