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L´intrus de l´OMC
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par Alexandre
Piquard mis en ligne le 26
décembre 2001 |
Andy est un
artiste d´un autre genre : il se fait passer pour
ce qu´il n´est pas, pour mieux faire passer son
message mi-artistique,
mi-politique.
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Surprise devant l'assistance en
cravate... © americanmovie
| "Attention : faux site de
l´OMC (http://www.gatt.org) trompeur et nuisible
pour les utilisateurs sérieux." C´est avec ce
communiqué un peu timide que l´Organisation
mondiale du commerce voulait, le 30 octobre
dernier, mettre le monde en garde contre une
bande d´imposteurs qui s´était déjà payé sa tête
à plusieurs reprises, et avec la manière : les
Yesmen. À la tête de ce collectif de quelques
activistes répartis entre l´Europe et les
États-Unis, Andy, un Américain souriant de 37
ans, qui est venu s´installer à Paris au
printemps "après avoir passé dix ans à éviter
les dotcoms à San Francisco"...
L´avertissement de l´OMC fait franchement
sourire Andy, qui s´est déjà fait passer trois
fois en un an pour un speaker officiel de l´OMC
lors de représentations officielles.
Le
schéma est toujours le même : les organisateurs
envoient par erreur un mail à Gatt.org pour
inviter Mike Moore, le vrai président de l´OMC à
s´exprimer. Andy répond que Mike Moore est
indisponible, mais qu´il enverra un autre membre
de l´OMC en remplacement. Andy troque son
jean-tee-shirt-baskets pour un costume noir et
vient délivrer un discours poignant
d´ultralibéralisme, choquant et délirant, à un
public qui ne bronche pas. La première fois,
c´était à Salzbourg, en octobre 2000, devant 50
membres du Center for International Legal
Studies, la seconde fois à Paris, le 19 juillet
2001, lors d´un débat sur la mondialisation
organisé par une chaîne câblée américaine, où
Andy s´est retrouvé en duplex face au chairman
d´Accenture et au dirigeant d´une ONG américaine
anti-OMC. La dernière apparition a eu lieu lors
d´une conférence sur le futur de l´industrie
textile, organisée par l´université technique de
Tampere, en Finlande, face à 150 officiels et
businessmen.
Sidérés de ne pas être
démasqués, les Yesmen ont forcé le trait. Après
avoir traité Gandhi "d´idiot protectionniste",
proposé la privatisation de l´éducation pour que
les enfants des anti-mondialisation puissent
lire l´économiste libéral Adam Smith, et
critiqué Lincoln pour avoir aboli l´esclavage au
États-Unis au lieu de laisser le libre échange
le transformer en sous-traitance dans le
tiers-monde, Andy a atteint son zénith en
Finlande. Couillu, il a terminé son speech en
combinaison moulante dorée, affublée d´un pénis
géant avec écran à cristaux liquides,
soit-disant "un costume de loisirs pour manager
du futur" mis au point par l´OMC.
Le
tonnerre d´applaudissements n´a fait que prouver
une fois de plus le message d´Andy : "On peut
dire n´importe quoi et prôner les mesures les
plus fachos quand on est l´OMC".
Dans sa
chambre du 11e arrondissement parisien, on
comprend qu´Andy n´ait pas besoin de grand-chose
pour raviver, avec ses complices, une tradition
militante plus proche des Marx Brothers que de
la CGT : son bureau accueille un ordinateur
portable, un Palm, une caméra numérique et des
disques durs, sur le lit traîne un numéro du
Monde Diplomatique et au porte-manteau est
accroché le masque à gaz des manifestations
contre le G8 à Gênes.
Pour se protéger,
le héros de la dérision institutionnelle se
cache derrière divers pseudonymes, notamment
parce qu´il est informaticien pour un grand
opérateur téléphonique français. En rentrant du
boulot, il tient le site des Yesmen et prépare
l´avenir avec d´autres activistes américains et
européens. "Il faut qu´on aille encore plus
loin. La prochaine fois, on sera obligé de
parler de nazisme", lance Andy avec malice. La
prochaine fois ? Ah oui, les Yesmen viennent de
recevoir une nouvelle invitation officielle et
feront encore parler d´eux, en mai prochain.
(une enquête parue dans Transfert
magazine n°20).
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