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| Comme tous les quatre ans,
le grand Barnum des présidentielles américaines
déroule ses flonflons, ses ragots et ses
millions de dollars dépensés en spots
publicitaires. Tout ça pour un scrutin qui
pourrait bien battre un nouveau record
d'abstentions (51 % en 1996). Pour James
Baumgartner, fondateur du site voteauction.com,
un seul argument peut inciter les électeurs à
faire un choix entre "Gush" et "Bore"
: l'argent.
Vote par
procuration Les votants indécis (ou en
mal de liquidités) n'ont qu'à s'inscrire sur le
site, mis en ligne le 1er août dernier. Il n'y a
plus qu'à attendre que des offres soient faites,
et le tour est joué. Voteauction garantit que
les voix iront au candidat qui aura remporté les
enchères. La somme finale sera répartie entre
les personnes inscrites, le site conservant 10 %
du montant total. Comment être sûr que les
électeurs voteront pour la bonne personne une
fois dans l'isoloir ? C'est simple : ils ne s'y
rendront pas. Ils enverront des procurations à
voteauction, qui se chargera de les compter et
de les vérifier, avant de renvoyer les chèques.
Baumgartner, dont voteauction est le sujet de
thèse en sciences politiques, défend son idée :
"Toutes les grandes sociétés américaines
dépensent des sommes colossales dans le
financement des campagnes électorales [2
milliards de francs en 1996, soit deux fois plus
qu'en 1992, NDLR] afin de voir leurs intérêts
défendus. Non seulement ce système économique
est inefficace, mais les citoyens n'en profitent
pas."
"Une jolie
provocation" Les enchères sont avant
tout destinées aux entreprises et aux groupes de
pression. Voteauction ne démarchera pas
directement les partis politiques : une façon de
contourner l'écueil juridique le plus patent.
Mais des écueils, il y en a bien d'autres. Pour
Nicole Bacharan, professeur à Sciences-Po et
spécialiste des États-Unis, le principe de
Voteauction ne tient pas la route : "C'est un
gadget qui volera en éclats au premier
procès." L'historienne lui reconnaît
cependant quelques vertus. Elle y voit "une
jolie provocation (…) qui souligne à quel point
le système électoral américain dépend de
l'argent." La chercheuse insiste : "Les élus
américains sont de moins en moins libres de
leurs choix politiques parce qu'ils passent leur
temps à essayer de collecter de l'argent auprès
des grands groupes industriels pour pouvoir
financer leur prochaine campagne. Les électeurs
le savent et ça en dégoûte plus
d'un."
Un arrêt de
1976 Plein d'optimisme, James Baumgartner
croit dur comme fer à la solidité légale de son
système. Il compte s'appuyer sur un arrêt de la
cour suprême américaine, daté de 1976 et baptisé
"money equals speech" (quelque chose
comme : "l'argent a la même valeur que la
parole"). Cet arrêt rend légitime le libre usage
de l'argent dans la vie politique, en
particulier lors des élections. "L'Amérique
vit dans un système où payer pour gagner des
élections est toléré sans problème. Pourquoi
serait-il immoral de vouloir directement acheter
des voix ?", s'interroge Baumgartner, avec
un cynisme non dissimulé. Il faut dire qu'il y a
beau temps que la valeur pécuniaire du vote
n'est plus un tabou aux États-Unis. Le rôle joué
par le syndicat mafieux des camionneurs de Jimmy
Hoffa dans la très courte victoire de John
Kennedy en 1960 est, par exemple, une affaire
entendue. Baumgartner rappelle sur son site que
le fondateur de la nation américaine lui-même ne
renâclait pas à graisser quelques pattes :
"En 1757, lors d'une élection en Virginie,
Georges Washington a acheté les 391 voix de sa
circonscription contre trois litres d'alcool par
électeur." Si c'est une affaire de
tradition…
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